Entretien avec Charles Curtin, écologiste

Friday, June 30, 2023 by Owl

Charles Curtin a fait carrière en sortant des sentiers battus, en s'intéressant aux populations locales et indigènes que les agences gouvernementales et les grands groupes de protection de la nature ont tendance à ignorer, en s'intéressant à de vastes espaces et à des temporalités longues sans chercher les solutions faciles ou simplistes. Il a l'habitude des traits d'esprit façons koan, comme 'ne soyez pas le genre d'expert qui parle ; soyez le genre d'expert qui écoute.'

Tandis que les différences entre ce qu’il fait et ce que XR fait sont évidentes, il y a des parallèles aussi, en particulier sa conviction que le changement climatique est intrinsèquement un problème de justice sociale. Mais tandis que Extinction Rebellion est très récent, lui y travaille depuis plus de 30 ans. Il a bien compris ce qui fonctionne, et ce qui ne marche pas.

Charles est également mon ami, même si je n'ai pas eu l'occasion de le voir depuis un certain temps. Lorsque je lui ai demandé s'il était prêt à nous donner quelques conseils pour aller de l'avant, j'ai été ravi qu'il accepte.

En accord avec lui, j'ai édité ses propos pour les rendre moins longs et plus clairs.

Photo du centre-ville d'une petite ville. Des arbres verts et feuillus dedifférentes espèces poussent parmi les bâtiments, mais les bâtimentseux-mêmes semblent usés et relativement peu décorés. Plusieurs voitures, encirculation ou en stationnement, sont visibles, certaines vieilles deplusieurs dizaines d'années. Un seul être humain est visible, un hommeadossé à un bâtiment. Il est difficile de discerner le moindre détail à sonsujet, mais il porte peut-être un jean et un sweat-shirt pâle. Le ciel estd'un bleu dur et brumeux, avec seulement quelques petits nuages. Des crêtesmontagneuses en arrière-plan s'élèvent des volutes defumée.

Une communauté rurale au Nouveau-Mexique où les incendies sont imminents. Photo fournie par Charles Curtin

Charles est un écologiste, un défenseur de l'environnement et [un écrivain] (https://www.charlescurtin.com/books). Il s'est spécialisé dans la recherche de moyens permettant aux communautés rurales, souvent privées de leurs droits, de protéger leurs propres terres. Il a participé à des projets qui ont sauvé des millions d'acres (un acre est presque un demi-hectare, mais dans tous les cas, il s'agit de beaucoup de terres). Son travail actuel est centré sur sa maison dans la vallée de Mora, une enclave hispanique isolée au Nouveau-Mexique, où il a créé une organisation appelée [Sangre de Cristo Mountain Initiative] (https://sdcmi.org/) pour faire face à trois crises régionales à la fois : la terre a besoin d'être restaurée après des décennies de mauvaise gestion, mais il n'y a pas d'argent pour payer le travail ; il y a peu d'opportunités économiques pour les jeunes, dont la plupart partent tout simplement ; et, bien sûr, il y a le changement climatique. Charles et ses collègues tentent de lancer une entreprise durable destinée à rendre la restauration de l'habitat économiquement viable tout en fournissant des emplois à la population locale, qui en a bien besoin, et en séquestrant le dioxyde de carbone.

Le projet commençait à peine à trouver ses marques lorsqu'un [monstrueux incendie de forêt] (https://en.wikipedia.org/wiki/Calf_Canyon/Hermits_Peak_Fire) a ravagé la région, laissant derrière lui de nombreux dégâts et une chance infime, mais bien réelle, de conséquences positives inattendues.

Je tiens à préciser que si Charles parle de la Rébellion contre l'Extinction avec respect, il n'est pas lui-même un rebelle. Rien de ce que nous faisons n'est un reflet de ce qu'il fait, et ses opinions ne sont pas nécessairement celles de XR.

La Conversation

Je lance l'appel Zoom un après-midi de janvier et il est là, plus âgé mais toujours le même, dans une veste polaire couleur avocat, assis dans ce qui ressemble à un couloir. La lumière du soleil pénètre par une porte. Des tapis colorés et tissés ornent les murs. Nous passons quelques minutes à discuter de ces tapis et à refaire connaissance. Derrière moi, il peut voir mon poêle à bois, une photo de mariage encadrée et les lumières de notre arbre de Noël qui se reflètent sur la vitre de la fenêtre alors que la lumière du jour s'estompe. Nous nous parlons par delà les fuseaux horaires.

Les conversations par Zoom sont étranges, elles nous offrent un aperçu des lieux et des vies de nos interlocuteurs, mais restreints au champ de la caméra. Au-delà, rien.

Il a suivi l'actualité de XR et remarque que "leur réflexion est plus profonde que celle des anciens groupes Earth First ! Ils ont une génération de plus, trente ans plus tard, et leur concept est plus sophistiqué". Puis il rit, un peu gêné.

Il me demande pourquoi je veux l'interviewer. Je lui dis que même si nous sommes un mouvement de protestation et pas lui, nous avons beaucoup de choses en commun. Je lui donne quelques exemples. Je mentionne nos efforts pour éviter l'eurocentrisme, sachant que lui, un Américain blanc et relativement privilégié, fait de même. Il m'interrompt en disant que beaucoup de groupes environnementaux ne veulent pas s'impliquer dans la sylviculture et à tout ce qui s'y rapporte.

'Et je me dis, attendez une minute, nous avons ici trois cents, quatre cents ans de culture basée sur l'exploitation forestière, sur le sciage des arbres et le massacre des animaux, qu'il s'agisse des Amérindiens ou des peuples Hispaniques. Alors, est-ce que vous jugez, est-ce que vous vous dites, oh, je suis végétalien, je ne crois pas en ce que ces Amérindiens ont fait au cours du dernier millénaire ? Ou avez-vous trouvé un terrain d'entente?'

Il nous explique qu'il se réjouit que nous nous penchions sur ce problème, car la plupart des organisations environnementales sont trop urbaines et n'accordent pas assez d'attention aux populations rurales et indigènes.

Passons aux questions (en gras et en italique).

'La défense de l'environnement est menée par des humains, non ? En fin de compte, il s'agit donc d'établir des relations humaines. Et tout ce qui perturbe les relations humaines et les liens entre nous, n'est pas une bonne chose.'

Lorsque Charles écrit sur la défense de l'environnement, il ne parle généralement pas de conception d'études scientifiques ou d'histoire naturelle. Il parle plutôt de la façon de travailler avec les gens et de ce qui ne va pas lorsque les défenseurs de l'environnement ne parviennent pas à collaborer avec les différentes parties prenantes. Il a déclaré 'Il ne s'agit pas de conserver la terre, mais de conserver les communautés qui conservent la terre.'

Bon, XR n'organise pas de trusts fonciers, mais notre travail demande également de la collaboration. J'ai commencé par poser quelques questions sur l'art de travailler avec les gens.

Vous avez écrit sur la façon dont les organisations environnementales et les agences gouvernementales, en essayant d'aider les communautés locales, trop souvent finissent par leur nuire. Comment XR peut-elle, à l'avenir, éviter ces erreurs classiques?

'Intéressant', murmure-t-il, en détournant un instant le regard de la caméra pour reprendre ses esprits.

'Donc, tout d'abord, il faut faire preuve d'humilité en toute circonstance, n'est-ce pas? Il faut écouter et regarder. Simplement écouter et observer ce qui se passe.'

Il parle avec ses mains, mais sans excès. Son visage reste impassible, professionnel, ne révélant presque rien de personnel - sauf de l'intérêt ou, régulièrement aussi un soupçon d'ironie discrète.

'Il y a des années, nous organisions des échanges entre des éleveurs [Americains]et des Masaïs, et nous devions vraiment nous mordre la langue pour ne rien dire. Nous avions souvent envie d'orienter la conversation. C'est ce qui est le plus difficile avec une grosse organisation, vous savez, le temps c'est de l'argent, l'horloge tourne, vous voulez faire beaucoup de choses, et les donateurs sont impatients. Mais il y a un lien direct entre le temps que vous investissez au départ, et la durabilité des résultats. Il suffit parfois simplement de rester impliqué.

'J'ai vraiment ressenti le besoin de vivre au sein des communautés dans lesquelles je travaillais. Comme vous le savez, j'ai travaillé avec des communautés de pêcheurs au large de la côte du Maine, et les informations les plus importantes que j'ai obtenues ne provenaient pas d'un entretien formel, mais plutôt lorsque, sur le pont arrière d'un ferry, pendant une tempête, les vagues déferlant autour de nous, un pêcheur s'est approché de moi en disant: Vous savez, j'ai une idée.'

Citant le pêcheur, il parle en l'imitant, devenant, pour un instant, ce marin à la peau tannée par les intempéries qu'il avait rencontré.

'Ou - j'en ris encore - un soir, dans le Montana, j'ai [fait la fermeture] du bar local cinq soirs de suite—et je ne bois pas vraiment, mais c'est comme ça qu'on rencontre les gens, et après deux ou trois bières, un éleveur est venu me voir et m'a dit vous savez, j'ai pensé à ....

'Ou bien, pour l'instant, je suis l'un des rares "anglos" dans une communauté composée essentiellement d'Indigènes et d'Hispaniques. Il s'agit de se montrer, d'être accessible, et cela prend du temps. Alors, oui, l'humilité et la patience, c'est ce qui compte le plus.'

Et il se balance un peu sur sa chaise, attendant patiemment ma prochaine question.

Vous avez beaucoup travaillé avec des éleveurs [qui ont tendance à entretenir des relations conflictuelles avec les écologistes] et d'autres personnes qui ne sont pas d'accord avec vous ou entre elles sur des sujets importants. Comment trouvez-vous une cause commune?

'Ok, eh bien, le Blackfoot Challenge [une organisation] avec laquelle j'ai travaillé dans le Montana pendant un certain temps, avait une maxime très intéressante, la règle des 80/20. Je l'ai trouvée remarquablement exacte—la plupart des gens sont d'accord sur 80 % des choses. Nous aimons nos enfants. Nous apprécions nos parents. Il faut donc se concentrer sur les 80 % sur lesquels on est d'accord, et non sur les 20 % sur lesquels on ne l'est pas. Bien sur, les détails peuvent varier, mais j'ai été étonné de voir comment, en mettant la politique de côté, les choses peuvent vraiment changer.

Beaucoup d'éleveurs avec lesquels nous travaillons sont plutôt conservateurs. Je pense qu'à un moment donné, tous ceux avec qui je travaillais étaient de fervents partisans de Trump. Mais nous ne parlions pas de Trump. Nous parlions plutôt de ce qui nous tenait à cœur dans l'environnement, des raisons pour lesquelles nous voulions changer les choses, de ce sur quoi nous étions d'accord. C'est ca l'essentiel : se concentrer sur ce qui nous rassemble, sur ce qu'on maîtrise, et non sur les sujets de désaccord.

'Par exemple, l'un de mes proches partenaires est un partisan de Trump. Je n'ai pas besoin de lui démontrer qu'il a tort ou qu'il a raison. Il comprend ma position, je comprends la sienne, et ironiquement, ses valeurs sont très proches des miennes, elles s'expriment différemment parce qu'il écoute une presse différente, il a un autre cadre de référence, mais les valeurs sont les mêmes. C'est ca l'essentiel : ne pas juger, ne pas s'attarder sur les différences mais plutôt chercher un terrain d'entente. Il y a quelques années, nous avons eu un certain nombre de projets soutenus par le département d'État américain au Moyen-Orient entre Israéliens et Palestiniens où, une fois de plus, on s'est concentré sur les points communs. On se souciait de la terre, on pensait aux enfants, à la communauté

  • et on avait pas besoin de discuter de la religion. Et ca, ca fonctionne dans tous les domaines.'

Ca semble plus facile à dire qu'à faire. Comment faire la différence ce qui fait consensus et les sujets à éviter?

Un sourire furtif se lit sur son visage. Charles apprécie les réflexions intelligentes et surprenantes, les idées simples et inattendues et qui font toute la différence. Apparemment, cette idée de combler les différences en fait partie. Mais il répond à une question légèrement différente de celle que j'ai posée.

'Le Blackfoot Challenge parlait de rythme. Il y a un timing à respecter. Pour vous donner un exemple, il y a dix ou douze ans, j'ai participé à un projet commun entre Palestiniens et Israéliens, puis avec des écologistes américains. À un moment donné, l'un d'entre nous a mentionné ce qui semblait être une simple question sur la dynamique du pouvoir, et tout à coup, c'est comme si les vannes s'étaient ouvertes. Ces groupes qui s'étaient côtoyés pendant des mois se sentaient enfin dans un espace suffisamment sûr que pour aborder les sujets tabous, à savoir leur foi et les relations de pouvoir au Moyen-Orient.

'En ce moment, je suis avec mon [associé] qui est un partisan de Trump—nous pouvons en parler, nous acceptons de ne pas être d'accord sur tout, et donc maintenant, après plusieurs années, ca arrive qu'il affirme quelque chose, et que je lui réponde que je n'y crois pas, en expliquant pourquoi, et il va m'expliquer pourquoi lui y croit, et nous pouvons avoir cette discussion, mais il a fallu du temps pour en arriver là. Alors oui, je pense qu'il y a un temps et un lieu, et c'est nécessaire, et ca approfondit la relation.

'Encore une fois, pour moi, ce sont les gens qui protègent l'environnement, non ? Le plus important c'est donc de développer des relations humaines. Et tout ce qui perturbe ces relations humaines et ces les liens est à proscrire. Le fait d'avoir raison politiquement n'a dès lors aucun intérêt. Il faut réfléchir aux besoins plus larges. Et reconnaître que si nous sommes capables de sauver un million d'hectares ensemble, est-ce vraiment important que mon voisin vote différemment ? Non, ça n'a aucune importance.'

Il faut ici nuancer les propos de Charles car les votes et les désaccords politiques peuvent avoir une grande importance—toutefois, ils ne sont pas très importants pour ces millions d'acres. Lorsqu'une maison est en feu, les pompiers ne s'arrêtent pas pour discuter de politique ou de philosophie morale, ils travaillent ensemble pour éteindre le feu.

Je fais remarquer que Charles est un sage, et il détourne le regard avec un petit rire gêné.

'Bon, en fait, ca demande de la patience, parce qu'on a plutôt appris a défendre notre point de vue, et là, il faut pouvoir prendre du recul, développer une vue d'ensemble, et se poser la question de l'objectif global et du résultat qu'on veut atteindre. Et ce n'est pas d'avoir raison. On doit tous faire des concessions.'

'Je crois de plus en plus que les politiques sont surtout locales, la responsabilisation est le plus souvent locale, il faut donc responsabiliser les populations locales et leur donner une voix, en reconnaissant que les décisions Fédérales manquent souvent de finesse. Elle ne tiennent pas compte des nuances.'

Comme XR, vous travaillez beaucoup avec des communautés qui ne bénéficient pas du soutien des canaux gouvernementaux habituels ou des grandes organisations. Pouvez-vous nous parler de ce processus, de l'aide apportée aux communautés pour qu'elles se rassemblent et développent leurs propres ressources?

'Ah oui, ca c'est un point intéressant' dit-il. 'L'une des choses dont on se rend compte, c'est que—et je dis cela en tant que Nord-Américain blanc et libéral—beaucoup de politiques gouvernementales ne s'appliquent pas vraiment aux communautés rurales. Je peux donc comprendre pourquoi les communautés s'agitent, je peux comprendre pourquoi elles gravitent autour de.... Je vis dans une communauté de 600 personnes. Les écoles sont, au mieux, marginales. Nous n'avons pratiquement pas de soins de santé. C'est l'arrière-pays américain. Et vous pouvez comprendre pourquoi les gens sont méfiants.'

Il baisse les yeux, se frotte les mains un instant et fronce les sourcils, ennuyé, avant de regarder à nouveau la caméra pour parler.

'J'ai écrit récemment un article sur les habitants du Nouveau-Mexique—vous savez, nous avons eu ces grands incendies ici, avec des milliers de pompiers—mais il faut comprendre le point de vue de ce village, ce village hispanique isolé. La dernière fois que les Fédéraux [forces commandées par le gouvernement fédéral] se sont montrées en nombre, c'était lors de la Révolte des Pueblos en 1847, lorsque la septième cavalerie a bombardé l'endroit et l'a réduit en cendres. Les gens n'ont pas oublié cela. C'est ca, leur expérience du gouvernement fédéral. Ceux qui volent des enfants et les amènent dans des écoles de langues. Ceux qui détruisent les communautés. Ceux qui volent les terres. Et donc, c'est un point de vue très différent. L'une des raisons pour lesquelles j'aime vivre ici, c'est que, pour l'Amérique du Nord, c'est probablement le plus proche de ce que d'autres personnes vivent dans d'autres parties du monde. Mais encore une fois, cela signifie que les gens d'ici ne peuvent compter que sur eux-mêmes s'ils veulent se responsabiliser et s'engager.

'Et même si les politiciens viennent jusqu'ici, avec leur mises en scènes électoralistes, et qu'ils distribuent, euh, des frigos ou d'autres bricoles aux pauvres, ils ne comprennent pas vraiment. Ce que je veux dire, c'est qu'en fin de compte, la responsabilisation se construit au niveau local. Même si j'ai commencé ma carrière à Washington DC en faisant de la politique au niveau fédéral, et, oui, on peut accomplir beaucoup de choses de cette manière, je crois de plus en plus que les politiques doivent être locales, la responsabilisation est locale, donc il s'agit de rendre les populations locales autonomes en leur donnant une voix, en reconnaissant que les décisions fédérales manquent de finesse. Elle ne tiennent pas compte des nuances.'

Une photo d'un groupe de dix personnes d'âges divers se tenant dans undemi-cercle approximatif--bien qu'il semble probable que la photo n'inclueque la moitié d'un groupe qui a en fait formé un cercle complet. Ils sont àl'extérieur, devant l'angle d'un bâtiment d'un étage, de couleur beige etavocat, avec un portail métallique qui est grand ouvert. Quelques petitsarbres verts sont visibles derrière le bâtiment, et la rue n'est pas pavéeou est très poussiéreuse. À une exception près, toutes les personnes sonthabillées de manière décontractée et la plupart ont la peau brunclair. Trois sont des femmes, les autres des hommes. Un homme porte ununiforme vert et gris. Un objet sombre, qui pourrait être une arme de poing,pend à sa ceinture. Il se tient debout, les jambes écartées, avec un langagecorporel dominant mais néanmoins réceptif. Lui et tous les autres regardentune femme vêtue d'un legging turquoise et d'un t-shirt gris qui parle etmontre du doigt en faisant des gestes. Elle a l'air sûre d'elle et encolère. À l'arrière-plan se dresse une épaisse colonne de fumée grise, etl'ensemble de la scène a une légère teinte jaune qui suggère que la lumièredu soleil est partiellement obscurcie par lafumée.

Les habitants de la vallée de Mora contestent les mesures prises par l'État et le gouvernement fédéral alors que la fumée d'un incendie de forêt menace. Photo fournie par Charles Curtin

Il explique longuement que l'aide que ses voisins reçoivent suite aux incendies de forêt ne répond pas à leurs vrais besoins parce que le programme d'aide est basé sur une approche inappropriée et universelle. Il explique que l'endroit d'où il vient, dans le Wisconsin rural, était d'une certaine manière similaire à la communauté dans laquelle il vit aujourd'hui, bien que les origines de sa famille aient été quelque peu différentes.

'En général, si vous avez affaire à des communautés rurales, elles sont toutes différentes, et elles sont toutes un peu les mêmes.

'Encore une fois, la protection de l'environnement est intrinsèquement une question de droits civils. C'est intrinsèquement une question de justice sociale, et c'est là qu'il y a un lien, parce que si vous ne prêtez pas attention aux besoins des autres, cela ne fonctionnera pas, du moins pas de manière durable.'

'Des modes de vie centenaires sont en jeu. Le feu est la nouvelle réalité dont personne ne parle.'

L'incendie dont parle Charles est celui que j'ai mentionné dans l'introduction, le Calf Canyon Fire, qui a été à la fois l'incendie le plus important et le plus destructeur de l'histoire du Nouveau-Mexique et le plus important de l'année—2022—dans la partie continentale des États-Unis. L'incendie a détruit 138,188 hectares au total et c'est exactement le type de catastrophe que nous pouvons nous attendre à voir se multiplier avec le changement climatique. Cela semble être une bonne transition vers une série de questions sur le point de vue d'un écologiste sur le changement climatique.

Cet incendie fut-il le moment où votre communauté s'est dit 'OK, le changement climatique, c'est devenu une affaire personnelle'?

'Ca c'est intéressant' dit-il à nouveau, et il semble le penser vraiment, ce qui est probablement un bel éloge de la part d'un scientifique. Il se réfère ensuite à une citation d'Aldo Leopold selon laquelle les écologistes vivent dans un monde de blessures. Il admet qu'il ne se souvient plus du reste, puis ajoute 'le problème, c'est que les gens sont aveugles.'

Curieusement, ce n'est pas ce que je retiendrais de cette citation, qui dit 'L'une des difficultés d'une éducation écologique est que l'on vit seul dans un monde en souffrance.' Pour moi, cette citation parle de ce que c'est que d'être un écologiste, mais Charles n'a jamais voulu parler de ce que c'est que d'être lui. Le fait que d'autres personnes ne soient pas conscientes des souffrances, et pourquoi elles ne le sont pas, est bien plus important pour lui.

'Je trouve incroyable que dans la plupart des communautés rurales comme la mienne, où les gens sont tellement liés à la terre depuis des siècles, la méconnaissance de la santé des forêts et de la menace que représentent les incendies soit si grande. Par exemple, nos forêts sont, en moyenne, cent fois plus denses que par le passé en raison de plus d'un siècle d'extinction d'incendies. Le problème est que la plupart des habitants de notre région n'ont jamais vu une forêt en bonne santé et ne comprennent donc pas à quel point tout le système est déréglé....

'Avec toute cette biomasse supplémentaire sur les terres, les incendies de forêt étaient inévitables. J'ai rencontré les superviseurs du comté la veille de l'incendie et ils m'ont dit qu'il n'y avait pas de problème, mais le lendemain, ils ont dû évacuer les lieux. Les gens pensent parfois que nous sommes vaccinés, mais ce n'est pas le cas. Ce que les gens ne réalisent pas, c'est qu'en raison du changement climatique, après sept ans, les chances d'avoir un nouveau feu sont aussi grandes que s'il n'y avait pas eu d'incendie. Nous disposons d'un délai très court pour éclaircir nos forêts et restaurer la santé écologique afin d'éviter un autre grand incendie—et pourtant, à tous les niveaux politiques, il y a une culture du déni et une focalisation sur les solutions rapides plutôt que sur les solutions durables. Ainsi, personne, depuis les dirigeants politiques jusqu'au niveau local, ne comprend qu'il ne s'agit pas de réparer les routes ou les clôtures [après] l'incendie de l'année dernière. Des modes de vie centenaires sont en danger. Le feu est la nouvelle réalité dont personne ne parle.

'Car la réalité est que pour la plupart des communautés rurales, c'est un peu le début de la fin lorsqu'il y a un incendie majeur. En effet, les modes de vie changent. Les gens ne peuvent plus élever leur bétail, ils partent, ils se font racheter par des investisseurs extérieurs, et c'est donc un véritable combat que de sensibiliser les gens à quelque chose dont ils ne sont pas conscients. C'est pourquoi j'écris beaucoup sur ce qui est réellement en jeu ici. En particulier pour faire comprendre aux politiciens que non, il ne s'agit pas de donner aux gens un sac de riz ou du foin pour leurs vaches, ca va plus loin que ca ! Et ce n'est pas seulement ici au Nouveau-Mexique, mais dans tout l'Ouest - c'est la nouvelle normalité, c'est permanent. Les incendies qui transforment les communautés deviennent de plus en plus la norme, et comment pouvons-nous y faire face ?'

Il sourit, soudain un peu gêné, et dit qu'il va s'arrêter là. Il tend la main vers ce qui doit être la tasse de thé la plus grande et la plus jaune du monde et en boit une gorgée. Ou peut-être s'agit-il d'un bol à soupe. Dans tous les cas, on dirait qu'il vient de se rendre compte qu'il a trop parlé, mais ce n'est pas le cas. Il a parlé d'un large éventail de sujets interdépendants sans vraiment répondre à ma question, ou peut-être a-t-il répondu à ma question mais aussi à plusieurs autres questions que je n'ai pas posées mais qui semblent liées.

Une photo d'une forêt verdoyante de pins qui s'étend au loin sous un cield'un bleu éclatant. L'ensemble de la scène est charmant, vert etvibrant. Les plus grands pins ont une écorce orange pâle, tandis que lesplus petits ont une écorce noire, caractéristique des pins ponderosa, quichangent de couleur àmaturité.

Voila a quoi devrait ressembler une forêt saine du Sud-Ouest. Notez le sous-bois verdoyant et les arbres d'âges différents très espacés. Photo fournie par Charles Curtin

Quand il ne lance pas des phrases lapidaires et un peu Zen, Charles parle d'une façon un peu déstructurée, avec des phrases sinueuses qui pourraient m'inciter, en tant qu'éditeur, à demander qu'il rationalise son propos, qu'il se concentre sur un sujet. Enoncé du sujet, développement des arguments, tac, tac, tac ! Le plus drôle, c'est que c'est lui qui m'a appris la nécessité de se concentrer sur un sujet. Mais personne ne parle de façon aussi littéraire et de toute façon, dans son travail, il s'en tient rarement à un sujet unique et bien défini.

Parce que comment se concentrer sur un seul sujet ? Le changement climatique ? L'écologie des incendies ? Le développement économique ? Les droits de l'homme ? Non, vous ne pouvez pas, parce qu'ils sont tous imbriqués les uns dans les autres. Donc il ne le fait pas.

Donc, le feu n'a pas réveillé les gens?

'Je pense que cela a un peu réveillé les gens, mais ils se disent que c'est du passé et qu'ils vont reprendre une vie normale. Mais en réalité, la vie n'a pas été normale pendant des décennies, nous avons juste eu de la chance—jusqu'à il y a huit mois.

'Mais on peut aussi le voir comme une opportunité, non ? Nous avions une forêt très malade, comme je l'ai dit, cent fois plus dense que par le passé, une friche écologique avec une fraction de la biodiversité qui devrait s'y trouver—une canopée très dense, rien dans le sous-bois, comme une zone morte pour la faune, alors qu'historiquement, nos forêts étaient des prairies, des prairies riches et luxuriantes avec des arbres qui poussaient ici et là. Des savanes avec des arbres. Nous avons donc la possibilité de revenir à la situation qui prévalait il y a un siècle. D'autre part, il est prouvé que d'ici un siècle environ, nous n'aurons plus les mêmes forêts qu'aujourd'hui, elles ne repousseront plus, car il fait trop chaud et trop sec pour elles. Nous assistons déjà au dépérissement des arbres. Donc, comment pouvons-nous construire l'avenir—nous pouvons planter des arbres qui tolèrent mieux la sécheresse, nous pouvons changer notre façon de penser, car nous ne reviendrons pas en arrière, cela n'arrivera pas.'

Charles explique comment, en raison de diverses circonstances inhabituelles, il se trouve qu'il y a beaucoup de fonds fédéraux disponibles pour la relance. Le projet qu'il propose est antérieur à l'incendie, mais s'il est reformulé et adapté pour inclure la récupération du bois mort, il pourrait bénéficier d'une bonne partie de cet argent et l'utiliser pour passer à la vitesse supérieure.

'Il y a donc beaucoup d'opportunités à saisir, mais la question est de savoir si les gens vont en profiter. Une grande partie de mon travail de protection de l'environnement a donc consisté à repenser les choses—pendant des années, nous avons essayé de faire de larges restaurations des paysages et nous nous sommes battus pour quelques dollars ici et là. Aujourd'hui, des millions de dollars affluent dans ce paysage—pouvons-nous les exploiter, les utiliser à bon escient ou allons-nous simplement revenir au statu quo ? Peu de gens comprennent cela, même dans cette communauté inventive. Ils se concentrent sur ce qu'ils ont perdu, et non sur les nouvelles opportunités. Parce que l'incendie se serait de toute façon produit tôt ou tard.'

Je me souviens de l'importance de l'abbattage des forêts dans le sud-ouest américain, en Arizona. Il y a 20 ans, j'ai passé quelques mois dans une équipe de scieurs qui éliminaient la végétation pour réduire la menace d'incendie de forêt, et je me souviens que nos superviseurs nous expliquaient pourquoi nous faisions ce travail, comment des décennies de lutte contre les incendies avaient laissé les forêts de pins si épaisses que les arbres eux-mêmes étaient rabougris, des pins de 80 ans d'un diamètre de quelques centimètres, et que rien ne pouvait pousser en dessous d'eux. J'avais aussi vu ce qui se passait lorsque ces endroits brûlaient—il y avait une forêt morte sur une colline à l'extérieur de la ville, rien que des troncs noircis, suite à un incendie survenu vingt ans plus tôt. Le feu avait brûlé si fort qu'il avait stérilisé le sol. Et je me souviens du jour où la fumée est venue d'incendies situés à des centaines de kilomètres à l'ouest, mais suffisamment épaisse que pour rougir le ciel et masquer le soleil. Tronçonneuse à la main, j'ai levé les yeux en pensant fièrement, voila ce que nous nous efforçons d'éviter aujourd'hui.

Une photo prise du haut du flanc d'une colline ou d'une montagne. Aupremier plan, une forêt dense d'arbres morts et noircis par le feu. Au-delà,des chaînes de collines s'étendent au loin. D'immenses taches d'ombre et desoleil tapissent le paysage, et le ciel est parsemé de nuages blancs etbleus. L'image est belle, lente, vaste, iconique. Certaines branches mortesbrillent au soleil comme une toiled'araignée.

Cette forêt est morte, mais lorsqu'elle était vivante, elle était en très mauvaise santé. Regardez comme les arbres sont rapprochés les uns des autres, une chose habituelle dans de nombreuses régions d'Amérique du Nord, mais pas dans le sud-ouest, où les animaux ne sont pas adaptés à cette situation. Photo fournie par Charles Curtin

Mais nous n'avons pas vraiment eu d'impact. Nous n'étions qu'une vingtaine de jeunes, payés quelques sous par des organisations caritatives et des programmes gouvernementaux qui voulaient nous aider à nous forger le caractère. A moins que quelqu'un ne trouve le moyen de créer un marché pour ces poteaux rabougris que nous coupions, il n'y avait aucune perspective d'étendre ces actions. Il semblait à l'époque illusoire de penser que quelqu'un pourrait un jour trouver une solution. Mais je pense qu'aujourd'hui Charles et ses collègues l'ont fait.

Pour éviter de l'embarasser, je ne lui dis pas. Au lieu de cela, je lui raconte comment, peu de temps après avoir quitté ce job, l'une des parcelles que nous avions éclaircies se trouvait entre un feu de forêt et une petite ville—et le feu a atteint la zone éclaircie et s'est arrêté.

Mais Charles m'explique que ces zones élaguées n'arrêtent plus les incendies, à cause du changement climatique. Les zones élaguées brûlent moins vite, le sol chauffe moins et la régénération est beaucoup plus rapide, mais dans les conditions plus sèches et plus chaudes que l'on connaît aujourd'hui, rien n'arrête les incendies. En cas de vents violents, des incendies ponctuels peuvent se déclarer à des kilomètres de distance.

'Le monde a changé.'

'Voilà, à nouveau, une leçon importante qui est qu'avec le changement climatique, beaucoup de ces pratiques culturelles [Indigènes] deviennent de plus en plus importantes, car nous avons de moins en moins de marge de manœuvre dans nos systèmes.'

Comment le changement climatique affecte-t-il la région où vous vivez?

A nouveau, il s'exclame 'ah, ca c'est intéressant', avant d'expliquer que, contrairement à certaines zones plus au nord, sa région ne devrait pas subir moins de précipitations que par le passé, mais que le réchauffement des températures signifie que la saison de croissance est maintenant plus longue d'environ deux mois. L'allongement de la saison chaude signifie que la terre s'assèche davantage, même si la quantité de précipitations ne change pas, ce qu'il appelle une sécheresse fonctionnelle. Les terres plus sèches brûlent plus facilement, à tel point que, dans une grande partie de la région, la saison des incendies dure désormais toute l'année, ce qui met à rude épreuve la capacité de lutte contre ces incendies. De même, avec l'augmentation des températures, les plantes et les animaux qui vivent dans les montagnes de la région se déplacent déjà vers des altitudes plus élevées, à la recherche du climat plus frais dont ils ont besoin. Ils finiront par ne plus pouvoir monter plus haut. Certains d'entre eux, comme les pikas—petits animaux lointains cousins des lapins et ressemblant à des hamsters—pourraient disparaître.

Mais, une fois de plus, Charles préfère regarder le positif. Il explique que depuis l'incendie, il a remarqué que des ruisseaux qui étaient presque à sec avant sont maintenant pleins d'eau.

'A la grosse louche, un arbre moyen consomme environ 100 gallons (environ 400 litres) d'eau par jour. Si l'on multiplie ce chiffre par je ne sais combien de millions d'arbres, à une densité cent fois supérieure à celle qui existait historiquement, on obtient un autre facteur fonctionnel de la sécheresse. En brûlant la terre, nous avons beaucoup plus d'eau. Ainsi, toutes les zones agricoles en aval, les cours d'eau à truites, s'ils peuvent éviter d'être envasés et détruits par les eaux de ruissellement—et c'est un gros "si"—peuvent contribuer à atténuer les effets du changement climatique. L'incendie n'est donc pas entièrement "mauvais". Il fait des guillemets avec ses doigts.

Quelle est la différence entre pas tout à fait mauvais et pas tout à fait 'mauvais' ? Charles dit ou fait rarement quelque chose sans y penser, donc ces guillemets doivent avoir un sens, et de toute façon ses yeux pétillent à nouveau. Il faut que j'y réfléchisse.

Quoi qu'il en soit, en attirant l'attention sur les conséquences utiles de l'incendie, il ne nie pas du tout le fait que ce soit une tragédie—ni les conséquences du changement climatique en général. Mais la tragédie et la douleur ne font pas bouger les gens, et Charles veut de l'action. C'est pourquoi, en revenant sans cesse sur les aspects positifs tout au long de cet entretien, il veut sans doute donner des raisons de s'engager, de faire preuve de courage et d'espérer.

Quel est l'impact de ces changements sur les habitants de votre région?

'Aujourd'hui, les gens sont plus conscients du changement climatique qu'ils ne l'étaient il y a quelques années. Ils en parlent.'

Il trouve même qu'ils en parlent peut-être trop, en invoquant désormais le changement climatique chaque fois qu'il fait sec pendant un certain temps. La région connaît une sécheresse de longue durée qui n'a rien à voir avec le changement climatique et qui devrait prendre fin à un moment ou à un autre.

'Mais les gens sont plus lucides. Ils ne peuvent pas irriguer aussi facilement et donc, dans de nombreuses régions, les gens n'essaient tout simplement plus de cultiver les terres qu'ils cultivaient auparavant. Cela modifie dès lors clairement la nature de ces communautés. Il y a des Acequias au Nouveau-Mexique (des systèmes d'irrigation de fossés importés au Nouveau Monde par les Espagnols—qui les tenaient des Maures), nous en avons environ soixante-dix dans toute la vallée, et ces fossés qui sont là depuis des centaines d'années sont en train de s'assécher. Les gens sont de plus en plus lucides. Il n'y a plus de grosses gelées, ce qui cause la multiplication des insectes. Ils ne voient plus la neige qu'ils avaient l'habitude de voir. Tout ca commence à rentrer dans la conscience collective.'

Il explique ensuite longuement comment la sécheresse, ainsi qu'une modification du calendrier des précipitations liée au changement climatique, avec des pluies plutôt à l'hiver qu'à l'été, ont remplacé les prairies par des zones d'arbustes dans le désert où il vit. Ses recherches post-doctorales étudiaient ce changement, et il évoque volontiers ses travaux antérieurs.

'J'ai fini par passer d'un travail sur le changement climatique [c'est-à-dire l'étudier] à une prise de conscience que je pouvais soit rester là à le regarder ou passer à l'action. Nous avons conclu toutes sortes de partenariats créatifs et inhabituels. Par exemple, on a constaté que même si le bétail peut être très nuisible à la terre, en le faisant paître de la même façon que les bisons le faisaient, on peut en fait atténuer les effets du changement climatique.'

Il a découvert était que le bétail, en mangeant de préférence les arbustes, ramenant la terre à son état de prairie comme avant le changement climatique.

'Bien sûr, cela implique une bonne gestion, n'est-ce pas ? Il faut bien réfléchir à ce qu'on fait, il ne faut pas se contenter de se débarrasser du bétail. Et c'est un bon exemple de la façon dont, avec le changement climatique, vous obtenez ces étranges—non, pas des mariages, plutôt des collaborations étranges. J'ai donc commencé à collaborer avec des éleveurs qui, comme nous l'avons dit, sont pour la plupart conservateurs. Dix ans plus tôt, ils m'auraient chassé de leurs terres à la pointe du fusil. Mais ils ont compris que le paysage changeait, nous avons compris que le paysage changeait, et que nous devions nous associer pour changer les choses. Et cela implique de ne pas porter de jugement. J'étais très opposé au pâturage. J'étais—'

Et il fait une drôle de tête, comme s'il était troublé par ses anciennes attitudes.

'J'étais très anti-tout, et pourtant, en observant et en étudiant, j'ai du me rendre à l'évidence, oh, regardez, cette terre va en fait mieux sous l'effet du changement climatique, dans certaines conditions de pâturage. Encore une fois, cela signifie que vous écoutez, que vous parlez aux gens. Qu'avez-vous fait ? Qu'en pensez-vous ? Pour moi, en tant que scientifique, il s'agit souvent de prendre ce savoir indigène, cette richesse d'expérience des gens, et de le traduire en données, de l'étudier, de ne pas se contenter de les croire sur parole, de l'étudier et de l'appliquer.

'Et donc, à nouveau, on a ici une leçon importante, avec le changement climatique, beaucoup de ces pratiques culturelles deviennent de plus en plus importantes, qu'il s'agisse des méthodes indigènes de gestion du feu ou de pâturage, de gestion de la faune et la flore, toutes ces questions deviennent de plus en plus importantes car nous avons de moins en moins de [marge d'erreur] dans nos systèmes.'

Ensuite, nous commençons à philosopher sur le sens du concept 'en bonne santé' et de la pertinence de prendre en compte ses valeurs dans le processus scientifique, et de l'importance d'être honnête sur ses propres valeurs, au lieu de prétendre à un degré d'objectivité que les êtres humains n'ont pas. C'est une discussion intéressante, mais nous nous éloignons vraiment du sujet. Il est temps de conclure.

'Le Mot de la Fin'—Poursuivre la Lutte dans un Monde où les Ressources s'Amenuisent

Aucune liste de questions, aussi planifiée soit-elle, ne peut couvrir tout ce que j'ai vraiment envie d'apprendre—entre autres parce que j'ignore souvent l'étendue de ce que la personne interrogée pourrait me raconter. C'est pourquoi ma dernière question est toujours très ouverte.

Et sa réponse est presque aussi longue que tout le reste de l'entretien.

Y-a-t'il une question que j'aurais du poser mais que j'ai oublié?

Charles se penche en arrière, pivote sur sa chaise, réfléchit. Puis il se penche en avant, se rapproche de la caméra, très sérieusement, pour expliquer.

'Comment un groupe comme Extinction Rebellion peut-il se développer et se maintenir dans un monde où les ressources diminuent ? Des ressources économiques qui diminuent, des ressources sociétales qui diminuent ? C'est difficile parce que nous avons ce jeu à somme nulle avec de plus en plus de groupes qui cherchent à obtenir des fonds de moins en moins disponibles . Et donc, quand Extinction Rebellion arrive, ou quel que soit le groupe le plus récent, s'il s'agit simplement de rivaliser avec les autres, qu'avons-nous réellement accompli ?

'Alors, peut-être qu'un groupe est meilleur qu'un autre sur certains aspects.... Mais je vous demande de réfléchir davantage, non pas à la manière de défendre votre propre cause, mais à la manière de faire avancer tous les bateaux. Cela signifie qu'il faut collaborer entre les groupes, trouver des moyens innovants de financer les choses, qu'il s'agisse de partenariats avec les agriculteurs, de partenariats avec les peuples indigènes, de systèmes de valorisations alternatifs, de crédits carbone, etc. Mais pour moi, l'avenir de la défense de l'environnement repose vraiment sur des actions très différentes de celles que nous avons menées jusqu'à présent. Je considère que les principaux obstacles sont d'ordre économique et non écologique, ce qui n'est pas facile à avaler pour un écologiste comme moi !

'Ce que je veux dire, c'est que la défense de l'environnement est, avouons-le, souvent de l'impérialisme écologique. Il s'agit d'élites riches qui imposent leur version de la réalité aux autres, de façon souvent très critique, mais il s'agit aussi, au sein de ces groupes, de se battre pour obtenir des fonds, des fonds limités et en constante diminution.' Il serre les poings pour illustrer le conflit. 'Alors, comment briser ce cycle ? C'est la, comme je l'ai dit, que se trouve la clé de l'avenir de la défense de l'environnement.

'Et, au fait, n'oublions pas que nous sortons d'une période bizarre, non ? Les scientifiques professionnels n'existent que depuis une centaine d'années. Les naturalistes professionnels n'existent que depuis une centaine d'années.'

Par professionnels, il entend les personnes qui gagnent leur vie de cette manière. Il y avait certes des scientifiques et des naturalistes il y a plus de cent ans, mais la grande majorité d'entre eux avaient des moyens financiers propres. Les autres gagnaient leur vie en faisant autre chose que de la recherche scientifique. Il n'y avait pas d'argent dans la science en tant que telle.

Une photo d'une grande étendue d'eau grise peu profonde, très turbulente,d'au moins plusieurs dizaines de mètres de diamètre. Elle s'écoule à traversce qui semble être un pâturage vert. Des brindilles sans feuilles sontvisibles à gauche de l'image. Bien que le photographe se tiennevraisemblablement sur la terre ferme, aucune terre n'est visible au premierplan de l'image, il n'y a que de l'eau. Des arbres verts feuillus se massentau loin et, au fond, se dressent les crêtes des montagnes. Le ciel est untumulte de nuages enclair-obscur.

'Le feu a des conséquences qui se font sentir pendant longtemps,' explique Charles à propos des inondations destructrices lors de la saison des pluies qui a suivi l'incendie. Ces inondations devraient se répéter pendant plusieurs années. Photo fournie par Charles Curtin

'Ces choses que nous mettons en place comme défenseurs de l'environnement, c'est assez nouveau, et un peu éphémère. Notre société est riche, aisée, et permet à tout un chacun de défendre l'environnement, ou de devenir scientifique—comme moi, en l'occurence. Par le passé, seules les élites, les riches, se rendaient en Afrique et décidaient de créer un parc ici, ou d'éliminer des gens la-bas.'

Il fait mine d'écarter des indigènes d'un signe de la main un peu hautain et nonchalant.

'Au cours des quatre ou cinq cents ans d'histoire de la défense de l'environnement, cela fait peut-être cent ans que nous disposons de la richesse nécessaire pour que les gens fassent ce travail de manière professionnelle. Si nous voulons survivre, on doit changer la donne, et comment fait-on ca ? Il faut réfléchir—non pas à la résilience, à la façon de revenir en arrière et de récupérer ce que nous avions, mais à ce terme que j'aime utiliser, la 'prosilience', qui consiste à être tourné vers l'avenir, à être dynamique. Le monde de la défense de l'environnement axé sur le dollar—qui suit les modes, touche à sa fin. Les groupes vont devoir faire preuve d'une grande créativité dans leur façon de travailler, en créant des partenariats et en créant de la valeur. Et cela signifie qu'il faut vraiment repenser la façon dont nous faisons de l'écologie, pas seulement ce que nous avons dans le cœur mais aussi dans la tête, ce qui se passe entre nos 2 oreilles, et reconceptualiser notre rôle.

'Donc, la situation est difficile. Nous avons connu une période d'immenses privilèges, d'immenses ressources—qui ne devrait pas durer. Alors, comment aller de l'avant ? Parce que nous avons plus que jamais besoin de défendre l'environnement. Mais ca ne ressemblera pas à ce que faisaient nos grands-pères ou nos pères. Il s'agira de tout autre chose. Et à quoi cela ressemblera-t-il ? C'est le défi à relever. On ne peut pas se contenter de faire ce que d'autres groupes ont fait, en essayant de le faire mieux, parce que ce n'est pas viable.'

Il dit cela très sérieusement, très clairement, sur un ton serein et calme—et puis il se met soudain à rire, et ajoute 'Du moins, pas à mon humble avis.'

Et, en fait, je suis d'accord avec lui, si XR n'est pas exactement un groupe de défense de l'environnement en tant que tel, nous dépendons des dons non seulement d'argent, mais aussi de temps et de travail. Beaucoup d'entre nous sommes des bénévoles.

C'est un sujet qu'il connait bien.

'Ce n'est pas simple. C'est une question de moyens financiers, de savoir ce que l'on peut demander aux gens. Par exemple, je travaille dans la défense de l'environnement—et il y a beaucoup de sacrifices à faire dans cette profession. À la fin, on a la satisfaction de pouvoir se regarder dans la glace et de savoir qu'on a fait tout ce que l'on pouvait, et c'est phénoménal. Peu de gens peuvent dire cela. Mais on ne peut pas non plus demander aux gens de ne pas manger, de ne pas avoir d'enfants, et pourtant ca, c'est la réalité. Il est difficile de poursuivre ce travail sans penser à..... J'ai remarqué, au cours de ma carrière, une diminution significative des ressources.'

Il parle longuement du déclin des ressources financières de tous les groupes de défense de l'environnement, du fait que même les plus prospères ont perdu 40 % de leur personnel au cours des seules dernières années. On assiste également à un glissement, dans tous les domaines, du personnel expérimenté et chevronné vers des personnes plus jeunes dont l'emploi est moins coûteux.

'Où va cette expertise ? Où va ce gars ou cette fille qui a vingt ans d'expérience et un grand savoir-faire ? Je n'en sais rien. Je ne sais pas où ils sont allés. Ils ont tout simplement disparu.'

Un demi-sourire se dessine brièvement sur ses lèvres. Il explique qu'il lui a fallu trente ans pour comprendre ces systèmes aussi bien qu'il le fait, et qu'il espère avoir encore trente ans pour utiliser ce qu'il a appris. L'idée de financer quelqu'un pendant huit ans, puis de le remplacer lorsqu'il devient trop cher à payer, est donc un vrai problème.

'Nous devons faire quelque chose de différent, et c'est très bien. Si nous pouvons créer une source d'énergie abondante qui diminue nos forêts, améliore nos bassins hydrographiques et responsabilise les populations locales, qu'y a-t-il de mieux ?"

'Quand j'ai commencé ce travail, je n'ai jamais pensé— je pensais qu'il s'agirait d'écologie et de communauté, mais de plus en plus, cela se résume à trouver des financements créatifs. Comment allons-nous soutenir ces groupes pour qu'ils soient présents au siècle prochain, quand on en aura le plus besoin ? J'encourage donc les gens à réfléchir à ces questions. Par exemple, les crédits carbone, s'il y a des moyens d'avoir des surtaxes, s'il y a des moyens de... il y a toutes sortes de moyens innovants pour financer ce travail. Il existe toutes sortes de moyens novateurs pour financer ce travail, mais les gens doivent être prêts à réfléchir à ces solutions créatives.'

Nous discutons des raisons de ce reflux, et il cite l'abandon de la philanthropie par les riches, l'érosion de la classe moyenne et la perte de richesse en général--ce qu'il ne dit pas, c'est que cette perte est elle-même un symptôme de la dégradation de l'environnement, un signe que la richesse obtenue en liquidant les ressources de notre planète commence peut-être à s'épuiser. Il ne le dit pas, mais sinon pourquoi insisterait-il sans cesse sur le fait que la seconde moitié du vingtième siècle a été plus riche que ce que le monde ne sera dans le futur ?

Il parle de sa fille, âgée d'une trentaine d'années, qui 'se donne à la défense de l'environnement, à quelque chose qui la dépasse. Elle ne s'attend pas vraiment à avoir une maison. Les gens de sa génération ne prévoient pas d'avoir une maison, un labrador et 2,4 enfants, ils n'envisagent pas que ca soit possible pour eux.'

Il dit cela de la même manière intéressée, engagée, mais presque impersonnelle que le reste de ses commentaires. La lumière du soleil à travers la porte derrière lui est devenue diffuse, elle s'estompe.

'Mais encore une fois, ce n'est pas nécessairement mauvais. L'argent n'a jamais été gratuit—les philanthropes ont des motivations diverses. Pour en revenir à la responsabilisation des communautés, si une communauté peut créer une usine de production d'énergie à partir de la biomasse, cette usine récupère les arbres excédentaires, crée des crédits de carbone, crée du [biochar] (https://en.wikipedia.org/wiki/Biochar), le biochar sert à améliorer les exploitations agricoles locales, le sol et l'écosystème, le sous-produit de l'électricité sert à soutenir les populations locales en dehors du réseau, vous créez toute une économie alternative qui rend les populations locales autonomes et les libère des contraintes auxquelles elles sont confrontées.'

Cette hypothèse, bien sûr, est exactement ce que lui et ses partenaires essaient de réaliser.

'Je ne veux pas dire que tout cela n'est que morose. Nous sommes contraints de faire quelque chose de différent, et c'est très bien. Si nous pouvons créer une source d'énergie abondante qui élague nos forêts, améliore nos bassins hydrographiques et renforce les capacités des populations locales, qu'y a-t-il de mieux ? Vous aurez une petite communauté isolée au Nouveau-Mexique qui vendra des crédits carbone, qui revendra de l'électricité au réseau, qui éclaircira ses propres forêts, qui utilisera l'argent pour mettre en place des programmes éducatifs afin que les enfants qui ne veulent pas travailler dans un centre d'appel ou dans la Silicon Valley puissent rester à la maison et faire de l'exploitation forestière ou rester et faire de l'agriculture, l'eau va dans l'agriculture biologique, et vous créez une économie circulaire—et cette économie circulaire, pour moi, c'est l'avenir. Mais ce n'est pas ce que nous avons fait jusqu'à présent !'

Je rigole de sa désinvolture. 'Amusant, non' ajoute-t'il, en me voyant rire, et se tourne un peu sur sa chaise avant de se pencher à nouveau vers l'avant.

'Je vous encourage à consulter [l'économie circulaire] (https://ellenmacarthurfoundation.org/topics/circular-economy-introduction/overview) sur le site web du Capital Institute, ainsi que les travaux de Regensis, du Regen Network et de Carbonface. Il y a un certain nombre de groupes qui font un travail très soigné et très innovant. Ce qui est passionnant, c'est lorsque des groupes comme Extinction Rebellion rencontrent des groupes comme le Regen Network et que les groupes qui travaillent sur l'économie circulaire se réunissent—et ils le feront, parce qu'ils devront le faire—ALORS seulement vous aurez des choses vraiment géniales.'

C'est manifestement la dernière phrase qu'il voulait prononcer. C'est une bonne phrase. Nous sourions, satisfaits de nous-mêmes, et discutons brièvement d'autres sujets. La lumière a presque disparu de l'embrasure de la porte derrière lui. Un clic de souris et la magie de Zoom s'achève.


À propos de la rébellion

extinction rebellion est un mouvement international, décentralisé, autonome, et apartisan, ayant recours à l’action directe non-violente pour faire pression sur les gouvernements, afin qu’ils prennent enfin les mesures radicales nécessaires pour faire face à l’urgence écologique et climatique. Notre mouvement est composé de toutes sortes de personnes aux profils variés, qui participent selon leurs capacités et disponibilités. Il y a des chances pour qu'il y ait un groupe local près de chez vous, qui serait ravi que vous vous fassiez connaître ! S'impliquer …ou vous pouvez aussi faire un don.