Qu'est-ce que l'agriculture régénérative ? Peut-elle nourrir la planète ?

Thursday, March 04, 2021 by Neil Simpson

A hand holds two radishes with soil-covered roots that have just beenharvested

© Pexels Skitterphoto

L'agriculture régénérative. Ce n'est pas évident à prononcer, n'est-ce pas ? Pourtant, c'est une expression qui va devenir de plus en plus courante. Pourquoi ? Parce que la vie en dépend. Nos méthodes actuelles d'agriculture intensive ne sont pas durables, elles ravagent les écosystèmes et détruisent la biodiversité. L'agriculture régénérative (ou régénératrice) permet de réparer ces dégats, et de renforcer la sécurité alimentaire.

L'agriculture est dans une impasse

Tout comme plus de la moitié du monde, j'ai vécu en milieu urbain, loin de toute considération agricole. Que sais-je vraiment sur la façon dont ce que je mange arrive dans mon assiette ? Les emballages alimentaires et les publicités me montrent des images heureuses de patchwork de paysages verts, et d'engins agricoles colorés labourant des champs dorés en sillons bien alignés. Environ un tiers de la nourriture mondiale est gaspillée chaque année, ce qui semble également suggérer que la nourriture ne manque pas.

L'agriculture industrielle a sans aucun doute permis de produire d'énormes quantités de nourriture ces dernières décennies, chaque progrès technique réduisant l'effort humain tout en augmentant la production : les tracteurs ont remplacé les chevaux, puis les moissonneuses-batteuses ont remplacé les tracteurs. Nous avons identifié l'azote, le phosphore et le potassium comme les éléments de la croissance des plantes, puis nous avons créé des intrants de synthèse à partir de ces éléments. Nous avons également découvert herbicides et pesticides, avec lesquels les agriculteurs pouvaient éradiquer mauvaises herbes, et indésirables en les pulvérisant tout simplement. L'industrialisation de l'agriculture a été un brillant exemple de l'ingéniosité humaine.

Donc, quel est le problème ? Le problème est que nos solutions agricoles à court terme nous mijotent des catastrophes à long terme.

Aerial view of grain being picked from a field by a harvester and atractor

© Pexels & Tom Fisk

Les monocultures

Nos pratiques d'agriculture intensive ont couvert la Terre de monocultures : des champs de culture d'une seule plante. Après tout, quand on gagne plus d'argent en ne cultivant que du maïs, pourquoi semer autre chose ? Économiquequement parlant, c'est logique de passer à l'agriculture intensive jusqu'à éliminer tous les obstacles à la récolte finale, tels que mauvaises herbes ou insectes affamés. Dans le monde des affaires, être plus efficace, signifie engranger plus de profits, et c'est évidemment pour cela que nous avons intensifié notre agriculture.

Malheureusement, les monocultures réduisent le nombre d'interactions naturelles entre les différents organismes vivants, la plupart d'entre eux ayant été éliminés, ou éradiqués par des produits chimiques, pour le bien des cultures. En d'autres termes, les monocultures détruisent la biodiversité. Dans le documentaire de David Attenborough de 2020 Extinction : les faits, l'écologiste du sol Richard Bardgett explique que "le sol devrait être plein de vie. L'une des choses les plus importantes que font les animaux dans le sol est de décomposer la matière organique, nécessaire à la croissance des plantes". La monoculture annihile ces relations écologiques.

De mauvaises habitudes

Nous considérons souvent les processus naturels comme des problèmes à résoudre, nous creusons et retournons la terre avant de semer, ce qui dendommage les sols, et libère des gaz à effet de serre qui seraient sinon naturellement restés sous terre, nous arrachons les plantes indésirables après la récolte, ce qui expose la terre nue à des conditions climatiques difficiles, et à l'érosion. Et puis, comme les sols dégradés ne peuvent pas retenir autant d'eau que des sols sains, nous nous retrouvons avec des terres inutilement asséchées.

L'agriculture intensive fait la guerre à la nature. Que se passe-t-il lorsque vous supprimez vos instincts naturels au nom de la productivité ? Par exemple, si je travaillais dans un bureau pendant 12 heures chaque jour, si je ne sortais pas pour faire des pauses, et que je ne prenais même pas le temps de m'arrêter pour manger un repas sain, j'aurais probablement plus de travail, mais à long terme, je serais aussi stressé, malheureux, et en mauvaise santé. C'est ce que l'agriculture intensive inflige aux sols.

La dégradation des sols

Comme vous l'avez probablement compris, c'est une mauvaise nouvelle. Lors de la Journée mondiale des sols en 2014 à Rome, l'activiste néerlandais Volkert Engelsman, ambassadeur de l'agriculture biologique pour IFOAM Organics International, a déclaré : "nous perdons 30 terrains de football par minute, essentiellement à cause de l'agriculture intensive. Dans Extinction : Les faits, Robert Watson (alors président de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) déclare que "la production alimentaire dans certaines régions du monde est en baisse, en raison de la dégradation des sols, et du dérèglement climatique".

On appelle la couche supérieure du sol dans laquelle poussent les plantes, la terre végétale. La vitesse à laquelle la couche arable se forme dans la nature dépend de nombreux facteurs, tels que topographie et climat, mais il semble qu'il faille environ 500 ans pour générer un pouce (2,5cm)de terre arable. Retenez cette info, j'y reviendrai plus tard.

Si nous continuons avec ces pratiques agricoles intensives largement répandues, nous mettrons de plus en plus en danger nos réserves alimentaires.

Recently harvested root vegetables being sprayed clean by a man with ahose pipe

© Pexels & Taryn Elliott

En quoi l'agriculture régénérative peut-elle aider ?

Les agriculteurs qui utilisent des méthodes d'agriculture régénérative coopèrent avec la nature. Ils cultivent des plantes en utilisant des méthodes qui ravivent les écosystèmes. Ces méthodes sont complexes et variées, chacune étant propre à l'écosystème, aux caractéristiques du sol, et au climat sur une exploitation agricole.

Ceci dit, voici quelques principes de l'agriculture régénérative :

  • Créer des permacultures

    • Une permaculture est un écosystème autosuffisant et durable.
  • Gérer soigneusement le pâturage des animaux

    • Le bétail devrait se évoluer progressivement sur les terres pour brouter et fertiliser le sol, plutôt que de rester au même endroit, ce qui dégrade les sols, et dêtre nourris dans des mangeoires.
  • Se convertir à l'agriculture biologique

    • Pas d'utilisation d'engrais de synthèses, d'intrants chimiques ou d'herbicides.
  • Semer des cultures de couverture

    • Des cultures d'hiver sont produites entre les récoltes pour couvrir et protéger le sol, et augmenter sa densité nutritive.
  • Composter

    • Tout ce qui est cultivé et qui ne peut être utilisé retourne à la terre.
  • Réduire ou éliminer le travail du sol

    • Le labour est un processus qui consiste à retourner le sol avant de semer.
    • Le labour perturbe l'équilibre des sols, réduit leur capacité à retenir l'eau et les nutriments, et augmente les phénomènes d'érosion.

L'agriculture régénérative, comment ça fonctionne concrètement ?

Ça fait beaucoup d'informations à la fois ? Je suis un citadin de longue date sans expérience agricole, donc je sais ce que vous ressentez, mais j'ai récemment vécu dans une petite ferme appelée Witchwood, un excellent modèle d'agriculture régénérative en pratique.

Aerial view of Witchwood farm in Goongerah, East Gippsland, Australia,including trees, sheds and a solar panel

© Jill Redwood

Witchwood, Goongerah

La ferme de Witchwood est une ferme de 11 hectares, située dans la vallée de la petite commune de Goongerah, à 340 km à l'est de Melbourne, en Australie. Witchwood est la propriété de Jill Redwood, qui se bat également pour protéger la riche biodiversité de la région avec Environment East Gippsland.

Lorsque Jill a acheté le terrain en 1983, c'était un champ nu et sans vie. Elle y a progressivement ajouté des arbres, des jardins et des clôtures, créant ainsi une ferme biologique avec des poulets, des oies, des chèvres et des chevaux. Jill vit le plus durablement possible, et c'est ce qui a influencé la conception de Witchwood.

Les règles de base à Witchwood

  • On n'utilise pas de produits chimiques

    • On laisse aux écosystèmes complexes du sol la possibilité d'interagir comme prévu par la nature.
    • Les produits chimiques tuent les bactéries naturelles qui enrichissent le sol, les racines, et facilitent le stockage du CO2.
  • Pas de surpâturage

    • On laisse l'herbe pousser, et se faner sur place, pour régénérer le sol.
  • On n'exporte pas de fumier

    • On le garde à la ferme pour amender les sols.

Comment Jill a-t-elle fait ?

Je suis arrivé sur le magnifique site de la ferme de Jill après le long confinement à Melbourne dû au COVID-19 en 2020. Jill a travaillé dur pour créer un environnement d'écosystèmes florissants, et de produits biologiques, mais son parcours a été assez simple.

Quand je suis arrivée ici, le sol était pauvre, dur et il y avait très peu de lombrics", explique Jill. "C'était la première chose à régler, alors j'ai planté beaucoup d'arbres, des espèces endémiques et européennes, toutes deux utiles. Il m'a semblé évident d'avoir recours à des méthodes naturelles, qui avaient l'air de bien fonctionner. La nature peut faire le travail des produits chimiques, des sprays et des engrais artificiels, si vous lui en laissez l'opportunité."

Ok, mais est-ce que l'agriculture régénérative est envisageable à plus grande échelle ?

Le Ranch des Brown, Dakota du Nord

Brown's Ranch est une ferme de 2500 hectares aux États-Unis. Dans les années 1990, les propriétaires, Gabe et Shelly Brown, ont essuyé quatre ans de mauvaises récoltes dues aux conditions climatiques, et ont commencé à expérimenter la culture sans labour, afin de conserver l'humidité du sol, et de réduire les coûts de carburant. Puis, ils ont cessé d'utiliser engrais, fongicides et pesticides artificiels, et commencé à cultiver une plus grande variété de plantes. Ils ont aussi modifié leur système de pâturage, faisant en sorte qu'une fois qu'une pâture avait été broutée, elle était laissée au repos pour se régénérer pendant au moins 360 jours.

Brown's Ranch est depuis une ferme en plein essor qui vend des cultures de rente (ou cultures commerciales), comme le maïs et le blé, ainsi que du bœuf, du porc, de l'agneau et du poulet nourris à l'herbe, du miel, des légumes et des fruits. Gabe Brown développe le mouvement de l'agriculture régénérative en Amérique du Nord grâce à Understanding Ag, et il affirme que la régénération de sa ferme a produit "plusieurs pouces" de terre arable en 20 ans.

A line of young green leaves emerge from darksoil

© Pexels & Kaboompics.com

L'agriculture régénérative peut-elle nourrir la planète ?

J'ai personnellement fait l'expérience des nombreux bénéfices de l'agriculture régénérative, mais je crains qu'elle ne soit moins efficace que l'agriculture intensive : ce n'est pas un hasard si le nombre d'habitants a explosé parallèlement à l'essor de l'agriculture intensive. Pouvons-nous vraiment nourrir autant d'êtres humains, qui plus est, sans avoir recours à des intrants chimiques, des herbicides ou de la monoculture ?

L'une des plus importantes études scientifiques jamais menées sur l'agriculture régénérative a tenté de répondre à cette question en novembre 2020. La revue américaine Science Advances* a analysé 41 946 comparaisons entre les pratiques agricoles "diversifiées" (régénératives) et "simplifiées" (intensives). Les résultats figurent ici : La diversification agricole favorise de multiples services écosystémiques sans compromettre les rendements.

Les chercheurs de Science Advances ont conclu que, dans l'ensemble, les agriculteurs n'essuient pas de baisse des rendements lorsqu'ils passent à des pratiques d'agriculture régénérative. L'étude souligne également que chaque exploitation agricole a besoin de sa propre combinaison équilibrée de ces pratiques afin d'obtenir les meilleurs résultats, ce qui constitue l'un des plus grands enjeux auxquels doivent faire face les agriculteurs qui souhaitent se reconvertir.

Qu'en est-il de l'aspect économique ?

Le rendement des cultures ne devrait pas être le seul critère à l'aune duquel nous devrions juger de la viabilité de l'agriculture régénérative, et encore moins de sa viabilité économique. S'adonner à diverses cultures ne signifie pas nécessairement une augmentation des revenus des agriculteurs. Dans le cas de Brown's Ranch, Gabe Brown affirme qu'après des années de difficultés financières, le ranch génère désormais 100 USD de bénéfice par acre et par an. "Quand on dévelope un écosystème agricole sain, on devient plus résilient", d'après lui.

En 2017, Project Drawdown a publié Drawdown : Le plan le plus complet jamais proposé pour enrayer le réchauffement climatique. Cette publication évalue et classe toutes les solutions disponiblespour lutter contre le réchauffement. Si elles étaient mises en œuvre parallèlement, cela entraînerait un pic des émissions de gaz à effet de serre, puis leur diminution, le "drawdown", leur réduction. L'éditeur Paul Hawken, ainsi qu'une équipe de près de 70 chercheurs se sont penchés sur cette publication, et un groupe de 120 personnes incluant des climatologues, des biologistes, des économistes ,et des analystes financiers ont validé ses dires, concluant que

  • "l'agriculture régénérative pourrait générer 1,9 trillion de dollars US d'ici 2050 [au niveau mondial], sur un investissement de 57 milliards de dollars US."

Cheerios breakfast cereal

© Pexels Pixabay

General Mills

1,9 trillionde dollars représente un gros gâteau. Pas étonnant que les multinationales alimentaires en veuillent une part. General Mills prévoit d'étendre les pratiques de l'agriculture régénératrice à un demi million d'hectares d'ici 2030. Si le nom de General Mills vous dit quelque chose, c'est sûrement parce que cet énorme groupe détient des marques telles que Cheerios, Häagen-Dazs, Wanchai Ferry, Yoplait et Betty Crocker.

La compagnie nord-américaine encourage un grand nombre des pratiques que j'ai relaté, dont "six principes fondamentaux". Ces principes sont très similaires à ceux utilisés à Witchwood et Brown's Ranch, tels qu'une intervention minimale sur les sols, la nécessité de maintenir la terre à couvert, et la gestion des pâtures.

General Mills investit aussi dans la recherche, finançant par exemple une étude à long terme sur les avantages des cultures de couverture à l'Université du Manitoba.

La course à la régénération

Les projets de General Mills sous-entendent que ces pratiques agricoles durables se répandent, mais s'agit-il bien d'une tendance globale ? Project Drawdown a tenté de répondre à cette question ô combien ardue en 2017, et estimé que la superficie des terres cultivées en agriculture régénérative passerait d'environ 50 millions à 500 millions d'hectares d'ici 2050 (à titre de repère, en 2016, on estimait que les terres agricoles s'étendaient sur près de 5 milliards d'hectares dans le monde).

L'estimation timide de Project Drawdown s'est basée sur la rapidité avec laquelle l'agriculture biologique a été adoptée au niveau mondial, combinée à l'espoir que les agriculteurs qui intègrent actuellement une ou deux pratiques d'agriculture régénérative finiront par abandonner toutes les pratiques dégénératives (ce qu'a fait Gabe Brown dans son ranch). De plus, Project Drawdown estime que 200 millions d'hectares de terres agricoles dégradées et abandonnées pourraient être ravivées grâce à l'agriculture régénérative d'ici 2050.

Que faudrait-il encore changer ?

Tenter d'évaluer le potentiel mondial de l'agriculture régénératrice n'est pas facile, mais les aspects économiques, de rendement des cultures, et d'adaptabilité sont tous très prometteurs. L'agriculture n'est cependant qu'un élément de notre système alimentaire mondial, dans lequel il nous faut changer encore beaucoup de choses.

Le World Resources Institute l'a souligné dans son rapport de 2018, Creating a Sustainable Food Future(Pour un avenir alimentaire durable). En plus d'insister sur l'importance de nombreux principes de l'agriculture régénératrice, le rapport conclut que la réduction du gaspillage alimentaire, le passage à des régimes alimentaires durables, la préservation des tourbières, et l'amélioration de la gestion de la pêche sauvage sont autant d'éléments essentiels pour garantir un avenir alimentaire durable.

A male rice farmer carries harvested rice as he walks alongside a sunnyrice paddy

© Pexels Pixabay

Sauver les sols

Le système alimentaire mondial est extrêmement complexe à cerner, mais il faut retenir deux choses : on produit difficilement de la nourriture sur des terres dégradées, et les humains ne peuvent pas vivre sans s'alimenter. Nos méthodes d'agriculture intensive, largement répandues, menacent la santé des sols dans le monde entier.

D'après la _Soil Science Society of America, un pouce de terre arable peut mettre plusieurs centaines d'années à se développer. L'agriculture régénérative relève le défi de tels délais : Gabe Brown a réussi à en développer plusieurs centimètres en 20 ans, Jill Redwood m'a dit qu'elle avait trouvé des outils de jardinage oubliés à Witchwood "recouverts de cinq ou six pouces de terre."

Nous ne sommes pas condamnés à l'échec. L'agriculture régénérative est une preuve supplémentaire que si l'humanité coopère avec la nature, au lieu de la juguler, nous pouvons bâtir un monde plus sain et plus heureux.


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