Mon histoire climatique

Sunday, May 21, 2023 by David Jesero, Edited by Hope Lourie Killcoyne

Je m'appelle David Jesero. Je viens d'Ouganda mais je vis au Rwanda.

En 2018, j'ai rejoint le mouvement climatique, en m'organisant d'abord avec Extinction Rebellion. En 2021, j'ai également rejoint le Climate Reality Leadership Corps, une initiative qui prévoit la formation de responsables locaux sur le changement climatique afin qu'ils puissent ensuite former les autres membres de leur communauté. Fondée par l'ancien vice-président américain Al Gore, j'ai été formé par lui en ligne. L'année suivante, en 2022, j'ai rejoint deux autres mouvements, Scientist Rebellion ainsi que Debt for Climate.

Sur cette photo nocturne en plein air, éclairée par des lumières vives,l'ancien vice-président américain Al Gore et l'auteur de cet article, DavidJesero, se sourient l'un à l'autre. Un homme anonyme, également souriant, setient entreeux.)

Un an après avoir suivi les formations en ligne de l'ancien vice-président américain Al Gore, je l'ai rencontré en personne en novembre 2022 lors de la COP27 en Égypte, à l'occasion d'une réception qu'il a organisée pour tous les stagiaires au Sultan Garden Hotel, dans le Gouvernorat du Sinaï, au bord de la mer Rouge. Photo prise par Fidele Uwihoreye, Climate Reality Leader, Rwanda.

Cette histoire qui commence dans le village de Mawundwe, au centre de l'Ouganda, retrace et résume mon parcours climatique à travers les moments clés de ma vie, en me remémorant et en partageant des réalités climatiques ineffaçables qui ont grandement façonné et influencé mon engagement dans le mouvement climatique. D'autre part, l'histoire montre comment ma curiosité envers l'agriculture m'a aidé à résoudre l'énigme des pesticides, à sauver ma récolte et à protéger la nature, tout cela en utilisant des moyens naturels et novateurs pour traiter les cultures. La résolution de ce défi a en outre redéfini ma relation avec la nature, m'amenant à devenir un protecteur et un gardien attentif et nourricier. L'histoire met en scène ma grand-mère, une héroïne du climat, une amie spéciale et une femme courageuse qui s'est occupée de moi lors de mes premières rencontres avec ce que je ne reconnais qu'aujourd'hui comme étant le changement climatique. Je lui serai toujours profondément reconnaissant.

1984 : Trop De Chenilles ; Pas Assez d'Eau

Les mois de janvier, février et mars sont généralement très chargés, comme ce fut le cas en 1984, lorsque j'avais six ans. À 6 heures du matin, le bruit dérangeant des agriculteurs aiguisant leurs houes indiquait à tous les autres agriculteurs que s'ils étaient encore au lit, c'est qu'ils n'étaient pas au bon endroit. Toutefois, cela ne nous empêchait pas, grand-mère et moi, de commencer notre journée à 7h30. Le travail commençait en général après la préparation d'un modeste petit-déjeuner : de l'eau bouillie infusée avec des cannes à sucre écrasées, servie avec des restes de patates douces conservés dans le feu. Dans mon souvenir, rien n'aurait pu détourner l'attention que je portais à ma grand-mère lorsqu'elle nous présentait ce petit-déjeuner presque céleste.

D'avril à mai, les agriculteurs se sont occupés de leurs champs et de leurs jardins, certains installant des épouvantails pour protéger leurs cultures des oiseaux, d'autres restant eux-mêmes dans leurs champs afin de réduire le risque de vols et de parasites. Puis vint le mois de juin caniculaire, un mois terrible où des milliers, voire des millions de chenilles envahirent les cultures et les arbres, nous privant non seulement de la possibilité de grimper dans nos propres arbres, mais aussi d'une bonne récolte. Certains de ces insectes étaient de tels spécialistes de la destruction que les vignes de nombreux champs de patates douces n'avaient plus de feuilles. Je me souviens que la réaction immédiate de grand-mère - rendue possible par la petite taille de notre champ - était de cueillir les feuilles infestées de chenilles et de les enterrer dans le sol. Le lendemain, elle prenait des piments broyés, en mélangeait une bonne quantité dans de l'eau et aspergeait les plants de patates douces avec cette mixture.

Alors que ce plan a pu fonctionner pour nous, il n'était pas possible de l'appliquer dans les grands champs et fermes. Les chenilles ont donc poursuivi leurs ravages, aidées par les températures caniculaires. Bien que nous ayons réussi à contrôler les chenilles et à y faire face, un autre défi

  • le manque d'eau - est venu frapper à notre porte. Les ruisseaux et les sources naturelles se sont asséchés et, du matin au soir, des enfants aussi jeunes que moi partaient à la recherche d'eau. Nous marchions avec nos voisins sur des kilomètres et des kilomètres à la recherche de poches d'eau cachées dans les forêts et les rochers.

Les mois de juillet et d'août étaient la période des récoltes. Bien que variée, la récolte était très maigre. D'abord, le sorgho, qui était utilisé à la fois comme farine pour le gruau et comme ingrédient d'un breuvage traditionnel appelé "kaliga" (qui signifie agneau). Le nom kaliga est utilisé pour cette boisson en raison de son goût frais, qui rappelle l'innocence et à la beauté d'un agneau. Ensuite, il y avait des pois, des haricots, des patates douces, du manioc, des arachides, du maïs et plusieurs autres sortes de plantes poilues à l'aspect étrange, dont certaines étaient traditionnellement consommées sans sel. Tout était là, mais en si petite quantité qu'à chaque récolte on pouvait voir les visages déçus des jeunes et des vieux .

Récolte Amère

Un jour, après avoir ramené notre récolte à la maison et aidé ma grand-mère à ranger un peu, j'ai été faire un tour chez nos voisins, une petite famille de sept personnes, dont la plupart avaient moins de 20 ans. Je les ai trouvés assis sous un énorme bougainvillier, pieds nus. Complètement silencieux. Seules leurs mains s'agitaient, les yeux rivés sur les récoltes loin d'être miraculeuses. Puis l'une des filles a rompu le silence en disant : "Qu'est-ce qu'un repas sans haricots ?". Dans de nombreuses régions de l'Ouganda et du Rwanda, les haricots remplacent la viande, mais maintenant leur "viande" faisait défaut. En outre, les patates douces étaient très petites cette saison. La plupart d'entre elles étaient aussi très filandreuses à l'intérieur, ce qui faisait perdre l'appétit aux gens. Ceux qui se forçaient à en manger souffraient d'indigestion et avaient des nausées ; ce n'était plus vraiment de la patate douce. Les bananiers portaient si peu de bananes - à peine cinq ou dix fruits, minuscules et très fins - et non pas une centaine ou plus par plante comme pour une récolte normale.

Comme d'habitude, j'ai aidé un peu mes voisins très déçus, puis je suis retourné voir ma grand-mère. Nous n'avions pas grand-chose non plus, mais nous n'étions que deux. Il y avait du manioc, mais il était devenu amer et toxique, voire mortel. Bien que des personnes soient mortes en le mangeant, d'autres ont continué à s'en nourrir. Les prix des denrées alimentaires a augmenté partout, et les familles dont les récoltes avaient été mauvaises ont commencé à travailler pour de riches agriculteurs. Appelés "esclaves alimentaires", ils recevaient de la nourriture à la place d'un salaire. C'était une pratique courante. La saison était dure, mais d'une manière ou d'une autre, les gens s'en sortaient en mangeant des choses qu'ils n'auraient jamais mangé en période de prospérité ; d'où le dicton ndiirabutafa, qui signifie "je mange juste pour ne pas mourir."

Toutefois, la situation n'était pas toujours aussi difficile. Il y avait de temps à autre de bons moments, comme lorsqu'une famille produisait une grosse récolte, avec meme un surplus. Les voisins partageaient alors leur récolte entre eux, en particulier avec ceux qui avaient planté trop tard. Ma grand-mère a fait cela pour un jeune homme qui s'était récemment installé près de chez nous. Il n'avait pas de champ prêt à être cultivé, juste une cabane au toit de chaume et un bon chien. Agé de 23 ans, il était sur le point de se marier et travaillait très durement dans de nombreuses fermes afin de constituer la dot : une bonne quantité de sacs de haricots secs. En temps normal, la dot pour une jeune femme vierge était de plusieurs vaches, mais en ces temps de crise, des sacs de haricots secs étaient considérés comme tout-à-fait acceptables.

Le temps passe, et les mois se succèdent, d'abord septembre, puis octobre : une nouvelle saison de semis pour perpétuer la chaîne de vie. Le mois de novembre a commencé avec de bonnes pluies et tous les agriculteurs étaient soulagés. Ma grand-mère avait une variété de cultures indigènes traditionnelles que je vois rarement de nos jours. Il y avait notamment plusieurs sortes de haricots aux couleurs vives, des ignames des marais et des hautes terres, ainsi que des légumes à feuilles. Les intervalles de pluie et de soleil se sont poursuivis normalement pendant un certain temps, jusqu'à l'arrivée des fameux grêlons et des mataba, ou inondations.

Trop De Façons De Mourir

À un moment donné, une femme qui discutait avec ma grand-mère lors de l'enterrement de deux filles de la même famille, frappées par la foudre, a décrit comment, avant qu'il ne commence à pleuvoir, elle avait vu une figure dans le ciel que je ne peux qu'essayer de comprendre aujourd'hui comme une sorte de dragon climatique. Ce n'était pas la première fois que la saison des pluies s'accompagnait de fantômes, transformant des quartiers paisibles en abattoirs. Chez les indigènes Karamajongs, les gens et le bétail sont morts par centaines pendant des jours et des jours, les causes de décès variant entre la faim, la maladie, les inondations et la foudre.

Lors de l'enterrement, alors que les gens continuaient à parler de l'horreur, je me souviens seulement d'avoir croisé intensément les yeux d'une personne après l'autre et, ce faisant, d'avoir absorbé toujours plus de stress climatique. Malheureusement ces événements se sont répétés tout au long de ma vie, de telle façon que le changement climatique et les pertes qu'il entraîne sont devenus comme une maladie chronique et anxiogène.

Contrairement A La Chaleur, Les Sauterelles Sont Porteuses D'Espoir

Les mois de novembre et décembre, bien qu'imprévisibles, ont le don de faire oublier les mauvais souvenirs. C'est d'autant plus vrai qu'en Ouganda, ces deux mois sont associés aux sauterelles, un mets traditionnel. Après les tragédies causées par la foudre et les inondations, les sauterelles tant attendues arrivent en masse dans presque toutes les régions du centre et de l'ouest de l'Ouganda, leur beau bourdonnement remplissant d'espoir tous ceux qui les entendent. Alors que la nature s'était retournée contre les populations, elle leur rendait enfin quelque chose : un signe de son contrat indéfectible avec elles. Les familles et les enfants affamés se sont réveillés tôt pendant le "novembre des sauterelles", se dirigeant vers les lieux où les sauterelles sont les plus nombreuses : prairies, champs de maïs et bananeraies. Certaines familles et certains individus ont également allumé une lampe la nuit, entourés d'équipements improvisés pour la récolte des sauterelles. Au matin, les sauterelles et le bonheur étaient au rendez-vous. Enfin, pendant des jours et des jours, les gens avaient droit à un plat à emporter gratuitement grâce à la bienveillance inconditionnelle de la nature.

Mais l'année suivante, en 1985, ce fut le contraire. Les mois de novembre et décembre sont devenus avares en sauterelles, ce qui a amené beaucoup de gens à se demander ce qui se passait. Les saisons chaudes sont devenues extrêmement violentes, détruisant les fermes et les champs. Les corps osseux étaient omniprésents. On entendait à peine les rires des enfants. Cela ressemblait beaucoup au "Printemps silencieux" de Rachel Carson. Certains des ruisseaux et sources naturelles locales où les gens avaient l'habitude de puiser de l'eau s'étaient asséchés et étaient maintenant remplacés par des fissures fantomatiques qui semblaient vouloir s'élargir et engloutir toutes sortes de choses. Le chaos et le désespoir sont omniprésents. À la même saison, les centres de santé locaux étaient remplis de personnes malades et affamées. Mais grâce à la présence de jardins naturels et de jardins privés entretenus par des conservateurs traditionnels, les herbes tropicales des uns et des autres ont permis - et permettent encore - de sauver de nombreuses vies.

Des Signes Importants

Avec l'accès à l'électricité, à la télévision et à l'internet, de plus en plus de gens ont commencé à réaliser que ce qui se passe dans leurs communautés se passe également dans d'autres parties du monde, et que tout cela est dû à une indifférence insouciante à l'égard de la responsabilité climatique.

L'Auteur David Jesero avec 4 femmes et portant une pancarte disant : ChèreAlliance bancaire nette-zéro de l'ONU, pouvez-vous arrêter le financementcriminel des nouveaux projets pétroliers et gaziers?? "Ces femmes —Eliane, Cecile, Ange à gauche et Clemantine à droite—participaient aux actions climatique que j'ai organisé avec XR Green World Youth Rwanda. Photo de Placide, Printemps 2022."

Ces 4 femmes—Eliane, Cecile, Ange à gauche et Clemantine à droite—participaient aux actions climatiques que j'ai organisé avec XR Green World Youth Rwanda. Photo par Placide, Printemps 2022.

Dans la deuxième photo, en bas à gauche, prise en mai 2023 lors d'uneaction sur la sécurité de la chaine alimentaire et autres écosystèmes,Jesero est assis à côté d'une jeune femme qui vend des légumes dans unmarché en plein air de producteurs locaux. Il tient une pancarte qui dit:Interdisez le DDT. Dans la troisième photo, en bas à droite [2022], lapancarte de Jesero indique: Arrêtez le harcèlement des populations indigèneset l'accaparement de leurs terres. Elles produisent 80% de la biodiversitéde notreplanète.) "Ces 2 photos (et celle ci-dessus)—toutes prises dans la ville de Muhanga—font écho aux préoccupations des défenseurs de la terre concernant la sécurité de la chaine alimentaire et des écosystèmes."

Ces 2 photo's (ainsi que celle ci-dessus)—toutes prises dans la ville de Muhanga—font écho aux préoccupations des défenseurs de la terre concernant la sécurité de la chaine alimentaire et des écosystèmes.

La Nature Soigne La Nature

De 2016 à 2018, j'étais enseignant et agriculteur. Contrairement à d'autres agriculteurs modernes, je n'avais pas l'argent nécessaire pour acheter un pulvérisateur, ni les produits chimiques pour lutter contre les parasites dans mon champ de maïs. La plupart des pesticides utilisés en Ouganda et au Rwanda sont fabriqués en Chine et en Inde. Le prix est abordables, mais pas pour tout le monde. Alors que les parasites commençaient à pleuvoir sur mon champ et tout autour de moi, d'autres agriculteurs étaient déjà prêts, occupés à pulvériser leurs champs de maïs, de tomates et de choux. J'étais un cas à part, impatient de trouver une solution. C'était mon énergie, mon temps et, finalement, ma récolte qui étaient en jeu. Contraint de trouver une solution, j'ai observé que les ravageurs commencent par pondre des œufs à l'intérieur du bourgeon de chaque plante de maïs, qu'ils mangent les bourgeons, puis qu'ils se déplacent vers les autres feuilles, y laissant à chaque fois une multitude de trous.

Je me suis demandé : "Puisque le parasite ne vient pas du sol, le sol pourrait-il être un ennemi du parasite ?" En creusant davantage, j'ai découvert un terrier de rongeur. J'ai remarqué de la terre fine à l'avant, que l'animal avait repoussée afin de créer suffisamment d'espace pour lui et sa famille. J'ai prélevé de petites quantités de cette terre, mais en quantité suffisante, et je l'ai répandue dans le bourgeon de chaque plante, répétant cet exercice jour après jour. Heureusement, cette expérience basée sur l'observation a fonctionné, non seulement en annonçant la fin des parasites du maïs, mais aussi en fournissant une récolte miraculeuse dont je n'avais jamais rêvé. De nombreux plants de maïs portaient trois longs épis, bien remplis de céréales saines. J'ai entamé la saison suivante avec le surplus de la saison précédente. En 2022 et 2023, j'ai répété cette routine au Rwanda, et les résultats ont été tout aussi étonnants, supérieurs même à ceux qui utilisaient des pesticides toxiques.

J'ai baptisé cette approche "La nature soigne la nature" et je l'ai partagée lors de la COP27. Cette expérience confirme le récit d'un rabbin juif, Yonatan Neril, lors d'une session interconfessionnelle à la COP27, selon lequel "les solutions au problème du climat sont entre nos mains."

Elles le sont, en effet.


À propos de la rébellion

extinction rebellion est un mouvement international, décentralisé, autonome, et apartisan, ayant recours à l’action directe non-violente pour faire pression sur les gouvernements, afin qu’ils prennent enfin les mesures radicales nécessaires pour faire face à l’urgence écologique et climatique. Notre mouvement est composé de toutes sortes de personnes aux profils variés, qui participent selon leurs capacités et disponibilités. Il y a des chances pour qu'il y ait un groupe local près de chez vous, qui serait ravi que vous vous fassiez connaître ! S'impliquer …ou vous pouvez aussi faire un don.