Justice pour les réfugiés climatiques

Wednesday, February 10, 2021 by Shireen Tawil

The sea water is rising every day …we lost everything. We are not happy, because we must move again. Climate change is making thousands of people homeless

Nurul Hashem (Bangladeshi school teacher)

Nos ancêtres étaient des chasseurs-cueilleurs - nous étions d'abord une société nomade qui se déplaçait d'un endroit à l'autre en quête de nourriture et d'abri, puis nous sommes arrivés dans le Croissant fertile - qui correspond actuellement aux territoires de la Palestine, d'Israël, du Liban, de la Syrie, de la Jordanie et de l'Irak - dans lequel il y avait une telle abondance de ressources comblant tous nos besoins, que nous nous y sommes installés. Nous y avons trouvé une profusion de nourriture, et y étions en sécurité. Nous avons commencé à construire des colonies, marquant ainsi le début des sociétés non nomades que beaucoup d'entre nous habitent toujours aujourd'hui.

On fait Avance rapide sur 11 000 ans. La région autrefois fertile est devenue un champ de bataille, et de déplacés, l'environnement y est détruit. Et ce n'est hélas pas un cas isolé. Plus que jamais, dans le monde entier, des gens fuient leurs foyers, 79,5 millions de personnes ayant été déplacées de force en 2019. Historiquement, les personnes déplacées étaient considérées comme des réfugiés parce que déplacées suite à de violents conflits, victimes de persécutions, mais ces dernières années, de nombreux réfugiés invoquent le dérèglement climatique comme l'une des raisons pour lesquelles ils ont dû fuir leur maison. Des scientifiques étudient aussi combien ces bouleversements climatiques entrainent des déplacements de populations. La dimension environnementale s'avère si manifeste qu'on emploie maintenant le terme de "réfugiés climatiques".

Two abandoned boats on a dried uplake.

Bateaux de pêcheurs abandonnés sur un lac asséché pendant la saison sèche près de Ouagadougou, Burkina Faso. Photo de Yoda Adaman

Qui sont les réfugiés climatiques ?

Bien qu'il n'y ait pas de définition juridique de ce terme, "réfugiés climatiques" est récemment entré dans notre vocabulaire, pour définir des personnes ayant dû fuir leur foyer en raison de changements dans leur environnement, qu'il s'agisse de personnes dont les maisons ont été englouties par la mer après un ouragan, de personnes dont les maisons ont brûlé dans des incendies, ou de personnes qui quittent leurs foyers pour d'autres régions parce que le dérèglement climatique a lentement anéanti leurs moyens de subsistance.

A road with the sky ahead full of smoke andfire.

L'incendie Delta en Californie, Wikipedia

I had a moment where I thought, would it be fast if we died? Would my kids suffer? Would they die from the smoke, or would they die from the fire?

— Michelle Teixeira, California

À international, on n'est pas d'accord sur la terminologie. Certains prétendent que les personnes déplacées par des phénomènes climatiques extrêmes ne correspondent pas à la définition légale de "réfugiés", prétextant qu'il n'y a pas eu "persécution". Les personnes déplacées suite à des catastrophes climatiques migrent souvent à l'intérieur de leur propre pays, ce qui fait d'elles des personnes déplacées à l'intérieur de leur pays (PDI) et non des réfugiés. D'autres évoquent la difficulté de mettre en évidence le rôle des dérèglements climatiques, alors qu'il y a souvent d'autres facteurs qui jouent.

Mais d'autres persistent, arguant du fait que l'utilisation du mot "réfugiés" souligne l'urgence de leur situation, et lui confère une dimension de justice. C'est dans cet esprit d'urgence, de responsabilité politique, et de justice que j'utiliserai le terme "réfugiés climatiques" dans cet article pour décrire les personnes déplacées suite à des catastrophes climatiques.

Réfugiés climatiques au Bangladesh, Photo de Sabbir

La zone grise : une multitude de facteurs

Le point commun des réfugiés climatiques du monde entier, c'est que des bouleversements climatiques ont rendu leurs chez-eux inhabitables, les forçant à partir, et pourtant, les impacts de l'effondrement du climat ne sont pas toujours si manifestes. Il est souvent difficile de démêler la complexe trame de facteurs qui contribuent au déplacement de populations. La destruction de l'environnement peut aussi être source de conflits et de guerres, mais ces faits sont souvent éclipsés au profit de gros titres sur des violences ethniques, des conflits nationaux ou régionaux. De même que souvent, les rapports entre dégradation du climat, famine et insécurité financière ne sont pas clairement évoqués. Les différents facteurs qui obligent les populations à se déplacer restent mal identifiés et définis.

La Somalie est par exemple souvent présentée comme un "État défaillant", où sévissent famines et milices. On parle de sécheresse mais rarement au-delà des questions de pauvreté, ou de dépendance aux aides, et pourtant des dérèglements climatiques dévastent la Somalie, alors que ses émissions de CO2 sont parmi les plus faibles au monde . Laura Heaton, qui travaille pour The GroundTruth Project, nous explique en quoi les sécheresses engendrent des violences, et comment cette combinaison de facteurs a poussé Khalid, un jeune Somalien, à partir de chez lui, faisant de lui un réfugié climatique.

Humanitarian map of Somalia, showing decreased rainfall and displacement across Somalia, Wikipedia

Khalid faisait de bonnes récoltes sur ses manguiers, mais ces dernières années, elles ont décliné, et ses revenus ont chuté, et il avait moins à manger. Al Shabab, un groupe de miliciens, a profité de la vulnérabilité qui va de pair avec la faim, et la perte de revenus, et imposé une "taxe" sur la récolte de Khalid, en prenant un tiers pour eux. Sachant que s'il rejoignait le groupe, il aurait enfin assez à manger, et que "l'impôt" serait levé, Khalid a fini par céder. Al Shabab a également profité de la pauvreté en Somalie en interdisant l'aide d'ONG internationales

  • maintenant les gens dans la misère, et dépendants de la milice. Khalid en a été membre pendant deux ans avant d'abandonner une mission qui lui avait été confiée, et de se rendre à pied au Kenya. Au moment de l'interview, il vivait dans un camp de réfugiés là-bas.

À cause de la sécheresse, Khalid, mène une vie de pauvreté, et n'a que guère d'options en Somalie. Sachant cela, des membres du groupe militant l'ont enjoint à les rejoindre finalement comme un moyen de survie. Il a probablement répété les extorsions auxquelles il avait été confronté, et participé à d'autres activités oppressives - perpétuant à la fois pauvreté et violence. Il a rejoint al Shabab non pas par idéologie, mais poussé par la faim. Au final, ces facteurs l'ont forcé à quitter la Somalie, et à se réfugier au Kenya.

C'est ce concours de circonstances et d'expériences qui font que les impacts climatiques soient moins évidents. Nous avons l'habitude de considérer le statut des réfugiés comme relevant d'un évènement bien précis, le bombardement d'un village, un tremblement de terre, des persécutions. Cette vision étriquée risque toutefois d'éclipser le rôle essentiel que joue la lente dégradation du climat dans l'avènement, ou le renforcement, d'autres menaces. C'est souvent l'accumulation de ces menaces qui est responsable du déplacement des personnes, faisant d'elles des réfugiés climatiques.

Les réfugiés climatiques dans le monde

Les bouleversements climatiques créent des réfugiés climatiques dans le monde entier. Voici trois exemples de déplacements forcés dus au dérèglement climatique. Nous commençons par la Somalie car, comme le déclare Laura Heaton, c'est "l'un des pays les plus durement touchés par le changement climatique, la Somalie étant pour le reste d'entre nous, comme le canari dans la mine de charbon."

Somalie

Map of Africa with Somaliahighlighted

En Afrique de l'Est, des personnes sont déplacées de force dans toute la Somalie .

Quoi

Les sécheresses à répétition et les autres conséquences du chaos climatique en Somalie engendrent la pauvreté, la faim, et des déplacements. Les gens fuient leurs maisons pour se rendre dans la capitale, à Mogadiscio, ou traversent les frontières pour trouver refuge dans les pays voisins. Les groupes armés profitent de cette pauvreté et de ce désespoir générés par les bouleversements climatiques pour recruter des membres, provoquant ainsi encore plus de violence au sein des communautés, et plus de déplacements.

Ce sont leurs mots

The worst is the drought, because with something to eat you can tolerate jail or any punishment [...b]ut facing starvation is worse than insecurity.

— Mohamed Abukar, Somali farmer

The fact that many of our youth have lost jobs because of desertification, deforestation … It’s not the only cause, of course, of radicalization, but this is one of the major causes of radicalization because of the linkages between violence and environmental degradation.

— Buri Hamza, former State Minister of the Environment for Somalia

NB : Buri Hamza a été tué dans un attentat perpétré dans un hôtel par al Shabab un mois après cet entretien.

I’m betting we’ll vanish from the earth. Somalis will vanish from Somalia [...a]nd you know what? It’s not going to vanish only due to drought; it’s going to vanish due to drought that will bring wars, because we will fight like chickens with a small amount of crumbs. We’ll eat each other alive because this environment is not giving us anymore.

— Fatima Jibrell, environmental activist

https://thegroundtruthproject.org/somalia-conflict-climate-change/

Bengladesh

Map showing Bangladesh

En Asie du Sud, partageant la frontière orientale de l'Inde, et sur les rives du golfe du Bengale, les Bangladais, pour la plupart issus des zones rurales côtières, deviennent des réfugiés climatiques.

Quoi

Le dérèglement climatique provoque une augmentation des inondations et de l'érosion côtière, les tempêtes sont de plus en plus violentes, et chaque fois qu'une catastrophe se produit, il est de plus en plus difficile de reconstruire. Le Bangladesh perd chaque année une superficie équivalente à celle de Manhattan, et on estime qu'il comptera jusqu'à 13,3 millions de réfugiés climatiques d'ici 2050. Les gens perdent leurs moyens de subsistance et leurs maisons, et fuient en masse vers la capitale et ailleurs.

Ce sont leurs mots

Climate change has wrecked everything; our people are living in other towns and cities, like refugees. All I wanted was to grow old with my children and their children. But now they are gone and I don’t think they will ever return.

— Shamisur Gazi, 83, Chakbara, Bangladesh

God knows how long this village will last. If it gets worse I will have to go to the mainland. We know the end is coming.

— Jakir Hossain, Bangladeshi fisherman

The land here used to be 1 km out to sea…We lost mosques, a school, shops, farms. We are scared of the sea now. Gradually it comes closer to our homes. When we sleep, we are scared. Every year the tide rises more and comes in further. Next year this village may not exist.

— Mohamed Rashed, Qumira Char, Bangladesh

http://climatemigration.org.uk/migration-stories-from-the-ganges-brahmaputra-delta-2/

Royaume-Uni

Map showing the UK

La ville de Fairbourne, sur la côte du nord du Pays de Galles.

Quoi

L'élévation du niveau des eaux menace de rendre la ville inhabitable d'ici 30 ans. En 2013, le conseil municipal a décidé de ne plus défendre la ville, et de la laisser à la mer. Il commencera à reloger les habitants en 2045, voire plus tôt, qui ignorent s'ils recevront une compensation financière lorsque la ville sera abandonnée. Ce n'est pas la seule ville du Royaume-Uni à être menacée par la montée des eaux.

Ce sont leurs mots

This is a wake-up call for the country. This is going to happen elsewhere.

— Bev Wilkins, 67, Retiree

People who want to sell are taking very cheap cash deals. I can’t do that. Where am I going to go? I wouldn’t get enough money to get another house [...h]ow the authorities can sit there and push this forward with no solutions beggars belief.

— Mike Thrussell, Journalist

We don’t have options. We are just pawns.

— Julia Walker, 32, Mother of 4

https://www.theguardian.com/environment/2019/may/18/this-is-a-wake-up-call-the-villagers-who-could-be-britains-first-climate-refugees

Broken searamp

Digue rompue, et laissée en l'état à Fairbourne, Pays de Galles, Photo de Julia Wilson

Justice pour les réfugiés climatiques de 2020 à 2050

Alors que les organismes internationaux s'enlisent dans les traités et des questions sémantiques, des catastrophes climatiques forcent des gens à quitter leur maison dans le monde entier. Cela touche tout le monde, quels que soient leurs revenus. Mais nous savons que ce sont les plus vulnérables qui sont les plus touchés, et qui ont le moins de ressources sur lesquelles compter. Le climat change rapidement, les gens perdent leurs maisons, et continueront à les perdre, quelle que soit la catégorie juridique dans laquelle les Nations unies et autres organismes internationaux les rangent.

Sign on wall saying "Refugeeswelcome"

Photo by Ethan Doyle White, Wikipedia

Les réfugiés climatiques ont non seulement perdu leur maison, mais ils ont aussi souvent perdu leurs revenus, leur stabilité, leur communauté, leur sécurité de vie et leurs rêves d'avenir. Ils ont tout perdu au profit de quelque chose qui peut être évité. Nous devons continuer à presser les gouvernements pour qu'ils protègent les personnes en danger.

Nous devons continuer à leur demander de rendre des comptes quant à leur responsabilité vis-à-vis du dérèglement climatique. Nous devons continuer à exiger des gouvernements qu'ils traitent les réfugiés comme des êtres humains et non comme des "problèmes" jetables. Les mesures réactives d'"adaptation" ne sont pas suffisantes. Empêcher que le climat continue à se dégrader devrait être au cœur des actions gouvernementales, et ce, dès maintenant, car en ce moment même, des millions de personnes cherchent refuge dans dans le monde entier.

Nous devons travailler à accueillir les réfugiés dans nos communautés, à les soutenir et à faire preuve de solidarité envers eux. Nos vies respectives se jouent au lancé de dés de la destinée, et nous devrions faire preuve de la gentillesse et de la justice que nous attendrions des autres si les rôles étaient inversés. Comme nous le rappelle Lauren Markham, "Personne ne veut être violé le long de la route, ou mourir dans le désert, se faire arracher son enfant par la patrouille frontalière, ou être enfermé indéfiniment sans avocat, sans soins médicaux adéquats, sans savoir ce qui lui arrivera et quand. Qui prendrait ce risque si tout allait bien chez nous ?"

A woman in a march holds a sign saying "Times like these call for courage!Courage!"

Photo by Alisdare Hickson

Nombreux sont ceux qui considèrent l'année 2050 comme une date cruciale pour l'urgence climatique. En effet, les projections indiquent que d'ici 2050, la dégradation du climat pourrait avoir déplacé 1,2 milliard de personnes. Mais ce n'est pas gagné, et c'est à nous de concevoir, et d'influer sur les mesures que prendront les gouvernements dans les 30 prochaines années. Nous devons mettre ce temps à profit pour agir, pour essayer d'éviter de terribles conséquences, et donner aux gens une chance de vivre en sécurité dans leur foyer. La question est : allez-vous agir maintenant ?


À propos de la rébellion

extinction rebellion est un mouvement international, décentralisé, autonome, et apartisan, ayant recours à l’action directe non-violente pour faire pression sur les gouvernements, afin qu’ils prennent enfin les mesures radicales nécessaires pour faire face à l’urgence écologique et climatique. Notre mouvement est composé de toutes sortes de personnes aux profils variés, qui participent selon leurs capacités et disponibilités. Il y a des chances pour qu'il y ait un groupe local près de chez vous, qui serait ravi que vous vous fassiez connaître ! S'impliquer …ou vous pouvez aussi faire un don.